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Témoignage de Jamel, Bénévole à La Main Tendue et Booster d'avenir

Dernière mise à jour : 18 sept. 2021


Pourrais-tu te présenter de la manière dont tu le souhaites ?


Je m’appelle Jamel, j’ai 28 ans. Je suis dans le milieu associatif depuis 4 ans, donc pas si longtemps que ça. Enfin, c’est à la fois long et pas long, je connais des gens qui y sont depuis 10 ans et qui en ont même fait leur métier, ça paraît peu par rapport à eux. Je suis titulaire d’un bac + 5 en biologie et génétique cellulaire, mais je ne travaille pas du tout dans ce domaine-là. Je travaille à la poste. Dans le milieu associatif je fais beaucoup de maraudes. J’ai commencé les maraudes dans une association, « De Cœur à Cœur », c’était tous les samedis, à peu près dans les mêmes secteurs que « La Main Tendue ». Après j’ai connu de bouche à oreille « Booster d’Avenir ».



Quand as-tu fais ta première maraude? Qu’est ce qui t’as donné envie de te lancer?


Ma première maraude doit remonter à il y a 4 ou 5 ans, c’était un samedi. Je connaissais personnellement le vice-président de « De Cœur à Cœur », et il m’en avait parlé. Il avait eu l’occasion de me présenter son projet, et à chaque fois je me disais « il faut que je le fasse, il faut que je le fasse ». Ça a pris un an pour que je le fasse, mais finalement je l’ai fait ! J’ai voulu la faire pour aider les autres, mais surtout pour voir les invisibles. Les gens qu’on ne voit pas forcément, qu’on oublie. Je ne dis pas que je les voyais pas, je les voyais, mais je ne savais pas comment les approcher, leur parler. Parce que c’est difficile d’aller leur parler et d’avoir un premier contact. Donc je me disais qu’en passant par une association, en donnant un repas ou quoi que ce soit c’était plus simple, parce que généralement les gens de la rue reconnaissent plus l’association que les personnes. Enfin, au fur et à mesure ils arrivent à te reconnaître, mais ils arrivent quand même mieux à reconnaître une institution qu’un individu. Donc en allant avec le nom d’une institution, c’est plus facile pour qu’ils te fassent confiance et que tu puisses échanger. Après, j’ai aussi toujours voulu savoir l’histoire de ces personnes, tout ce qu’il y avait derrière, pourquoi ils se retrouvent là.



Comment s’est passée ta première maraude Qu’est-ce qui t’as donné envie de renouveler l’expérience?


Ma première maraude, c’était même pas une vraie maraude. On l’avait faite à Place Carnot, on était 3. C’était l’été, et il y avait beaucoup de personnes. On s’est posés à un endroit, on a juste déchargé la voiture et il y avait au moins 50 personnes qui se sont retrouvés autour de nous. En 2 minutes top chrono on avait fini notre maraude. Après on ne servait plus que du thé parce qu’on n’avait plus rien. Donc voilà, ça m’avait frappé que les gens pouvaient vivre dans cette misère. Enfin, c’est un peu plus compliqué parce qu’il y en a qui profitent un peu du système, qui ne sont pas vraiment dans la misère, mais qui galèrent un peu plus que d’autres. Généralement c’est ceux qui galèrent le plus que tu vois le moins malheureusement. Et y a des gens, je ne pourrais pas dire que c’est une pathologie, mais ils ont le besoin de demander, de quémander. Alors qu’ils ont de quoi vivre, pendant toute une semaine je ne sais pas, mais ils ont un toit, ils ont un abri. Mais en fait ils ont peur de manquer de quelque chose, donc ils sont obligés d’amasser pour se sentir mieux. Je ne sais pas si c’est psychologique. Et il y en a d’autres qui vivent au jour le jour. J’ai déjà vu des SDF, si tu leurs donnes un repas ils vont refuser en disant qu’ils ont déjà mangé, et si tu leurs demandes « et pour demain ? » ils peuvent répondre que « demain c’est un autre jour, on verra, va trouver quelqu’un d’autre qui n’a pas mangé ». Même dans la rue il y a « 2 mondes » qui s’affrontent, et des fois c’est compliqué de jouer les arbitres. Parce que t’es obligé de jouer les arbitres : quand t’as plus qu’un repas et que t’as 2 personnes, c’est toi qui le donnes. J’ai voulu revenir parce que maintenant que j’ai découvert ça je ne peux plus fermer les yeux. Je ne peux plus faire semblant que ça n’existe pas, que je ne sais pas. C’est même pas pour me donner bonne conscience parce que je pourrais vivre avec, je pourrais fermer les yeux, mais ça me correspondrait pas. Donc c’est pour ça que je reviens.



Depuis que t’es dans l’associatif, est ce que tu as l’impression que ça a changé quelque chose chez toi, sur ton état d’esprit, ta façon de voir les choses ?


Forcément, il y a toujours un avant et un après maraude. Surtout la première. Je faisais déjà attention par rapport à ce que je gaspillais, mais là, tu fais encore plus attention. Un jour ce qui m’avait choqué c’était avec une asso, ils avaient organisé un réveillon à Noël et ils avaient demandé à chaque association de ramener 4 ou 5 bénéficiaires, et nous, à Part Dieu, il y avait une famille d’albanais qui vivait dans la rue et on les avait ramenés. Il y avait des gamins qui s’amusaient, faisaient la fête et tout. Et après il a fallu leur dire que voilà c’était fini, on les ramenait chez eux. Et chez eux c’est dans une tente, dans la rue. Ce décalage était bizarre. Donc c’est bien de faire tout ça, mais d’un côté t’as une limite. Et la limite, je l’ai atteinte depuis longtemps, et je ne sais pas comment dépasser ça. C’est-à-dire que les maraudes, donner un repas, c’est très bien, tu nourris les personnes, mais en même temps, tu les entretiens. Tous les SDF te diront que tu meurs pas de faim à Lyon, tous les jours il y a une asso qui donne à manger. Mais la personne en tant que telle tu en fais quoi derrière ? La personne elle est à la rue, tu ne sais pas pourquoi. Des fois c’est des problèmes psychologiques, des fois c’est des problèmes d’addictions, ... Donc toi qu’est-ce que tu peux apporter à l’autre, qu’est-ce que tu vas pouvoir faire pour l’aider et pour le changer ? Parce qu’il va rester toujours dans la rue si y a pas quelqu’un qui vient l’aider et le guider. Et ça, c’est problématique. Parce que quand tu fais des maraudes, au bout de 4 ou 5 ans c’est quasiment toujours les mêmes personnes. A Perrache, par exemple, il y une famille là-bas depuis 5 ans, elle n’a pas bougé. Est-ce qu’elle le souhaite vraiment, est-ce que c’est voulu ? Il y a des gens qui ont décidé de vivre comme ça par choix et qui l’assument. C’est rare, et au début c’est rarement par choix, mais en fait ils se sont habitués, limite résignés, et ils restent comme tel. Mais est-ce que c’est la vie qu’ils veulent vraiment vivre ? Et ça malheureusement les maraudes, on peut rien y faire. C’est la limite d’une maraude. C’est pour ça que j’ai intégré Booster d’Avenir, parce qu’ils voulaient changer ça, mais malheureusement, même eux n’arrivent pas à dépasser un pallier, parce que l’Etat a une volonté politique qui fait qu’on ne peut pas dépasser ça. Il y a le problème de logement, ils ont enlevé la personne, c’est comme en médecine il y a le même problème, normalement le patient, la personne doit être au centre de ton attention et en fait la personne n’est devenue qu’un numéro, un chiffre, qu’une donnée qui va te permettre d’avoir des subventions. Mais en fait, la personne en elle-même tu t’en fous.


Et ton état d’esprit au quotidien, est-ce que ça a changé quelque chose ?

Bizarrement, ça m’a permis de plus m’ouvrir aux autres. La misère, je la voyais déjà avant, pas en pleine mesure mais je la voyais déjà. Le plus difficile maintenant, c’est de connaître des gens comme ça. Tu commences à les connaître, donc en hiver quand tu rentres chez toi te mettre bien au chaud, tu te dis que lui il est sous sa tente et tu ne sais pas comment il fait. Même juste de leur donner à manger, toi t’es debout t’es frigorifié et eux ils sont normaux, ils se sont tellement habitués que même le froid ne leur fait plus rien.



Comment tu te sens dans ces situations-là ?


Je ressens de la peine, de la gratitude, l’envie de les aider encore plus mais je ne sais pas comment m’y prendre. Il faudrait qu’ils soient suivis par des psychologues pour voir vraiment l’état dans lequel ils se trouvent. Parce que d’année en année il y en a qui perdent un peu la tête. A Part Dieu il y en avait un qu’on a perdu de vu, et lui il commençait à délirer, à parler tout seul et tout. Il y en a qui radotent beaucoup, qui te racontent tout le temps la même histoire. Peut-être que t’es la seule personne de la journée à qui ils parlent, en dehors peut-être d’un autre SDF, mais donc il n’y a pas vraiment de lien social. Et ça, ça joue beaucoup sur leur état psychologique.


Tu as déjà pensé à lancer quelque chose ?

Pour le moment non. J’ai déjà intégré Booster, mais même eux ils ont un peu presque perdu espoir, ils ont atteint un seuil, ça devient de la politique. Et là, on n’est pas armés pour ça, on n’a pas forcément envie.



Est-ce que tu avais des préjugés avant que tu as pu déconstruire avec ton expérience dans l’associatif ? Est-ce que ça t’a donné des leçons de vie ?


Des leçons de vie peut être, des prises de consciences sûrement, mais déconstruire des préjugés pas forcément. J’essaye de juger le moins possible. C’est vraiment au cas par cas. Le plus « célèbre » que j’ai connu, c’était un journaliste du Monde. Il a perdu sa femme, et est tombé dans l’alcoolisme du jour au lendemain. Il a perdu son boulot et s’est retrouvé dans la rue. Il avait un statut, un travail, il avait tout, mais le fait de perdre sa femme... Il a perdu pied, il est tombé dans l’alcool et s’est retrouvé dans la rue. Ça va aussi vite que ça. Tu ne peux pas juger les gens comme ça. C’est un monde dans un monde, j’ai l’impression des fois qu’ils ont leurs propres codes. Malheureusement y a quand même du vol, des agressions, ce n’est pas parce qu’ils sont dans la même misère qu’ils se comprennent forcément entre eux et qu’ils s’acceptent. Y a quand même des communautés ou des clans qui se forment. Dans les squats, c’est encore autre chose, c’est vraiment par communauté, limite par pays : il y a le squat des albanais, le squat des africains, ... Ils ne se mélangent pas. Dans le squat il y a un chef, et des fois tu peux avoir des « ministres », un petit conseil qui entoure le chef. Il y a des règles de vie comme dans une maison, et tout le monde respecte ces règles. Si tu ne respectes pas ces règles, tu sors du squat.

Avec Booster j’ai distribué des repas dimanche dernier, on voulait rentrer dans le squat. Je les avais appelés auparavant et ils m’avaient dit de venir, qu’on en discute. J’y suis allé, il a posé 3 ou 4 chaises en disant que ce n’était pas uniquement lui qui décidait, qu’ils étaient 4 à décider ici. Donc je devais leur présenter le projet à tous, qu’ils en discutent pour décider. C’est une mini famille. Même s’ils ne se connaissent pas forcement au début, comme ils viennent du même pays ils ont le même style de vie donc ils se comprennent assez facilement. C’est peut-être pour ça que ça fait aussi communautaire. Ils sont soudés entre eux, ils savent qu’ils peuvent se faire confiance.



Avec Booster, vous recrutez aussi des gens dans des squats ?

Non, avec Booster, pour le problème du logement on n’a pas trouvé de solution, on ne peut rien y faire. A Lyon c’est saturé, il y a très peu de logements adaptés pour ce genre de personnes. Un SDF nous a dit « Là, ils nous parquent horizontalement, c’est-à-dire dans la rue, et après ils vont nous parquer verticalement ». C’est limite ils prennent un immeuble et ils mettent tous les SDF dedans. Chacun avec son problème, celui qui est alcoolique, celui qui est drogué, celui qui est schizophrène, ... A la fin quelle genre de population tu vas créer ? Celui qui est alcoolique va entraîner celui qui est toxicomane, celui qui est toxicomane va entraîner celui qui est alcoolique, et on rentre dans un cercle vicieux. Ce SDF disait que du coup il préférait rester à la rue et trouver un petit endroit tranquille où il est en sécurité qu’aller là-dedans. Il y avait un groupe de jeunes qui était à Bellecour, ils les ont logés dans des campings cars. Pour un logement d’entre-deux d’accord, mais il n’y a pas de solution derrière. Je pense que le facteur où tu dois beaucoup jouer c’est le fait de travailler, c’est ça qui peut débloquer beaucoup de choses. Mais avant ça, il faut ramer.



Quelle est l’expérience ou la rencontre qui t’as le plus marqué ?

Sur le secteur de Part- Dieu, il y a une québécoise, je n’arrive pas à voir son histoire. Elle est en France depuis quelques années, elle dit qu’elle a des problèmes de santé donc elle veut se faire soigner ici mais elle n’y arrive pas. Mais après elle ne veut pas plus parler d’elle. Elle m’intrigue toujours parce qu’elle est posée, a l’air très intelligente, elle a sûrement dû travailler, faire des études et tout. Et depuis quelques années je la vois un petit peu partir, dépérir, elle commence à avoir des problèmes de mémoire, c’est ça qui est inquiétant. C’est une personne très charmante, avenante, mais c’est difficile de la cerner et de savoir vraiment quel est le problème. Elle ne va jamais se plaindre, elle est toujours souriante, tu peux toujours discuter avec elle. Il y a aussi Mariano, c’est « le système ne veut pas m’aider et bien je vais compter que sur moi-même ». Et lui, je pense que c’est un bel exemple de personne qui veut s’en sortir et qui garde quand même la niaque. Mariano est une personne des pays de l’Est qui squatte dans un local électrique, et qui a retapé ce local et l’a fermé, a mis des rideaux et des stores. Il s’est installé là, c’est sa petite maison. Il a un lit, un réchaud, il peut se faire à manger tout seul, il a même investi le petit jardin à côté et a fait pousser des tomates dessus. Il faisait des spectacles de rue déguisé en bébé avant, il faisait des blagues et tout. Au début il faisait la manche à République, puis il a découvert cet endroit et s’est installé. Et malgré le fait qu’il se soit installé dans un endroit un peu bizarre, il a eu plein d’avis d’expulsions en 4 ans, mais malgré ça, tous les locataires ont fait une pétition pour qu’il reste. C’est une histoire attachante, donc je pense que des solutions il y en a. Au squat y avait un gamin qui vivait là-bas, il s’en est sorti parce que son père a trouvé un travail donc il avait un appart, mais il revenait quand même au squat avec les copains. « Les copains » qui avaient 30 ou 40 ans ! Il a demandé à son ami de lui construire une cabane, et le type lui construisait à partir de 4 bouts de bois, des fils et un drap.



Qu’est-ce que tu pourrais dire à ceux qui ont envie d’aller vers les personnes en situation de précarité mais qui ne savent pas comment s’y prendre ?

Ça dépend de ce qu’ils cherchent. S’ils veulent juste créer du lien c’est facile, il faut juste aller vers la personne et lui parler. Je les encourage à rejoindre un groupe d’association, maraude ou autre, c’est plus simple. Après, les SDF sont super sympas, ils n’ont pas d’à priori, la plupart du temps ils veulent juste discuter, ils veulent qu’on voie qu’ils existent. Juste un bonjour ou un sourire ça suffit, il n’y a pas besoin de faire plus. Après si la personne a envie de faire plus, elle peut essayer de discuter, offrirun café ou une clope et s’assoir avec eux. Pour les aider, je pense que dans le milieu associatif à Lyon tout existe déjà. Je ne pense pas que tu puisses créer une association qui se démarque, qui apporte quelque chose d’innovant. Le mieux c’est de faire une recherche pour trouver une asso qui te corresponde, en fonction du temps libre que tu as et de l’investissement que tu veux accorder. Avec les réseaux sociaux c’est facile de les trouver aujourd’hui. Il faut qu’ils sachent ce qu’ils veulent donner : de leur temps, mais il faut savoir comment tu veux le donner, et ce que tu te sens capable de faire. Par exemple, il y a des personnes qui ne viennent pas marauder souvent parce qu’il fait nuit, il y a des rats, des chiens, elles ont peur et ne se sentent pas à l’aise. Mais elles peuvent faire autre chose : il y a d’autres asso qui distribuent des vêtements, tu rencontres aussi les personnes, tu peux discuter.

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