Votre Parcours? Pourquoi avoir choisi de travailler à la PASS (Permanence d'accès aux soins de santé)?
Je suis médecin généraliste de formation, j’ai fait un internat de médecine générale, j’ai fait un assistanat d’un an aux urgences dans un hôpital périphérique, et ensuite de deux ans à l’hôpital pédiatrique, et ça fait depuis 2017 que je travaille à la PASS. Et alors, pourquoi ce choix de la PASS... j’ai fait cette demande parce qu’il me semblait qu’au sein de l’hôpital, c’était la consultation qui permettait de rejoindre les populations les plus pauvres. Parce que finalement, aux urgences, spontanément, les personnes les plus démunies vont pouvoir consulter, mais elles nous échappent un peu. On ne peut pas faire de suivi, on a très peu de temps pour traiter toutes les questions qui leur sont, peut-être, les plus importantes, et parfois, ce n’est pas la santé qui est prioritaire. On n’est jamais sûr de savoir si elles vont pouvoir prendre le traitement, si elles vont pouvoir le suivre, si elles ont tout compris. En fait, il y a à la fois une notion de temps, tout va très vite aux urgences, et en même temps, une histoire de compréhension. Le manque de temps n’aide pas à savoir si on a bien compris la demande du patient, et, s’il y a un symptôme, on va se focaliser sur le symptôme, et je trouve ça un peu ingrat. Je pense que lorsqu’on prend en charge les personnes, il y a un souci de compréhension et un souci de mesure de temps qui fait quecette consultation PASS, à mon sens, répond au temps qu’on peut accorder aux personnes les plus démunies.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler au contact des personnes les plus démunies ?
Alors là, il faut remonter un peu plus loin. Il y a une figure qui m’a toujours fascinée, c’est mère Teresa. En fait, je crois que mon idée de la médecine s’articule avec une perception que notre souci, dans la vie, c’est quand même de prendre soin des personnes les plus fragiles, et quand j’étais petite, la personne que je trouvais incroyable, par son service auprès des plus pauvres, c’était mère Teresa.
Je suis partie en Inde quand j’étais interne. Je voulais simplement voir comment on vivait ailleurs dans le monde. J’ai voulu approcher un petit peu le fait de vivre dans un monde grouillant de personnes vivantes et souriantes, enfin c’est un peu l’image que j’en avait. Et j’ai découvert, que même à des milliers de kilomètres, la demande des gens était toujours la même. Quand ils venaient voir un médecin, c’était tout le temps « j’ai mal partout, j’ai envie de parler et je suis fatiguée ». Et je me suis dit qu’en fait, il n’y a pas besoin de faire des milliards de kilomètres, même si j’en avais déjà un peu la perception, je me suis dit que la médecine commence en bas de chez nous. Ça a été la confirmation qu’il y avait des symptômes qui étaient très généraux et qui étaient essentiels dans notre humanité. Et j’ai pensé que la PASS pourrait répondre à cette envie de prendre soin des personnes les plus fragiles, mais en même temps, en étant en France. Un retour à une médecine au service des autres, c’est un peu un idéal humain, probablement.
Qu’est-ce qui change dans la relation médecin-malade à la PASS ?
Ce qui change c’est qu’on a une population pour moitié allophone, on appelle ça la « barrière de la langue », mais ça veut bien dire ce que ça veut dire, c’est qu’il y a quelque chose à surmonter. Ce qui change, c’est que la compréhension n’est pas garantie, et la relation de confiance l’est encore moins. Et, on sait bien que pour que le soin puisse être optimal, il faut un minimum de confiance entre le malade et le médecin. L’abord du patient, quand il n’y a pas cette barrière de la langue, est facile, c’est comme s’il y avait un couloir pour laisser place à notre intuition médicale, notre examen clinique, alors qu’il faut surmonter ça pour prendre en charge les patients qui nous sont confiés à la PASS, et ça demande un effort. Ce qui change aussi c’est qu’on a le temps, mais parce qu’on le veut ainsi. C’est-à-dire que l’on s’accorde une plage horaire qui nous permet de prendre en charge les patients dans les choses qu’ils vivent, la question du logement, la question sociale, d’emblée. Et ce sont ces choses-là qu’ils vont nous exprimer, ce ne sera pas tout de suite la question du soin, elle arrive après. Tout ce qui tourne autour de la question sociale est prioritaire, je crois, sur la question du soin, et on a le temps pour écouter cela, et écouter aussi leur histoire.
Qu’est-ce que votre travail à la PASS vous apporte sur le plan personnel et professionnel ?
A la PASS on accueille des enfants de 0 à 18 ans qui n’ont pas de couverture sociale. Ce que ça m’apporte, au niveau professionnel, c’est que ça me permet d’avoir un regard assez large sur la pédiatrie. Le recrutement ne se fait pas parce qu’il y a une même cause de consultation, ça peut être pour des bilans de santé sans plainte ou pour une plainte précise, ça nous donne un aperçu assez large de la population pédiatrique. La question de l’étranger rajoute la dimension continentale, l’activité de dépistage permet de toucher du doigt des maladies infectieuses qu’on ne rencontre pas beaucoup en France. Ça me permet aussi d’être en interaction avec tout un réseau d’associations. Il y a un travail pour aller chercher quelle association va pouvoir aller aider telle ou telle famille, tel ou tel patient, sur les questions sociales mais aussi médicales. Le travail en réseau, c’est très intéressant, et ça force à sortir des sentiers battus, ça me force à aller chercher des réponses un peu partout, dans les disciplines auxquelles je ne suis pas habituellement confrontée aux urgences. Personnellement, c’est assez dense, ce sont des journées qui ne me laissent jamais en paix. Il y a un côté assez difficile, parce qu’il y a une réalité qui n’est pas forcément facile à accepter : la question de savoir comment on accueille les personnes qui sont à côté de chez nous. Il y a une question qui revient toujours, surtout l’hiver : « j’ai besoin d’un logement, est-ce que vous pouvez faire quelque chose pour moi ? » Et, à cette question, on ne peut pas répondre, je n’ai pas de solution. Et en fait, quand on rentre chez soi et qu’on se met au chaud sous un toit, c’est très perturbant. Avec notre activité de soin, on a essayé de faire quelque chose pour aider les patients, parce qu’on a appris la médecine, d’une certaine façon, et on a voulu l’exercer, mais en fait, la réalité c’est qu’il y a quelque chose de beaucoup plus perturbant, d’un point de vue social, et cette réalité sociale, elle est dure à encaisser. Au quotidien, c’est des consultations auxquelles je repense beaucoup dans la semaine, avec des situations familiales qui sont parfois très complexes, douloureuses. Il y a de belles histoires, mais aussi beaucoup de difficultés, des gens qui vont être amenés à bouger énormément, des mamans toutes seules avec leurs enfants, des mamans enceintes à la rue, et, ce sentiment d’impuissance, ou de se demander comment on accueille... Il y a un mix avec la politique et le soin qui est difficile à accepter, accepter de faire au mieux ce que l’on sait faire, c’est difficile dans ces cas-là, parce qu’on a l’impression de ne pas beaucoup aider au final.
Et, d’un point de vue personnel, je trouve que la barrière de la langue est aussi difficile, parce qu’on n’est jamais sûr d’avoir bien compris la demande, et même s’il y a un interprète, je me demande souvent si ce que j’ai dit a été compris. L’autre jour, il y avait un interprète en arabe du moyen orient, je lui ai donné un mot et il m’a dit « pour ce mot là, j’ai trois traductions possibles », le patient en face avait des idées suicidaires et je me suis dit, « est-ce que je suis vraiment sûre que le fond du fond de la consultation a été saisi ? Est-ce que moi, j’ai vraiment compris sa demande et sa souffrance, et est-ce que lui, en face, a pu vérifier que j’avais bien compris, pour se sentir rassuré, se sentir en confiance, et ensuite pour se sentir bien pris en charge ? ». Alors, à la fin de la journée, le bien reste assez flou. Mais je pense qu’au final, il y a quelque chose qui passe, enfin j’espère. Il y a quand même une note très agréable, c’est déjà d’être au contact des enfants, et de soigner des enfants, c’est quand même mon idéal. Globalement il y a des enfants qui arrivent avec des pathologies lourdes, et il y a aussi beaucoup d’enfants en bonne santé et qui sont pleinement vivants. Et, rien que ça, examiner ces enfants et dire aux parents « vous vivez une situation difficile, mais votre enfant est en bonne santé », c’est quelque chose qui rassure beaucoup les parents. Et, en tous cas, même si on n’a pas eu les mots pour l’exprimer, je sens chez les mamans un « ah ouf, ça c’est déjà bien, et je vais pouvoir repartir un peu plus paisible ! ». Je pense aussi que le fait de soigner des enfants participe au côté agréable, parce que le fait de les voir sautiller sur le brancard, déchirer le papier en confettis, et renverser le box avec tous les jeux, ça montre que l’enfant va bien, et je trouve qu’en pédiatrie, il y a une vitalité qui fait du bien. La deuxième chose c’est que les enfants expriment facilement la gratitude, en se sentant à l’aise quand ils reviennent, et ça, c’est quelque chose que j’apprécie. Parce qu’on sent qu’ils reconnaissent les lieux et qu’ils se sentent en confiance. Et puis, il y a de belles histoires. Je pense à une petite fille qui est très bien entourée, qui a une paraplégie, mais qui est rayonnante, et pour laquelle les soins se sont bien organisés. Il y a des histoires qui donnent envie de continuer, et c’est ça qui est plutôt positif.
Pourriez-vous nous raconter une histoire, une rencontre qui vous a marquée ?
J’ai plein de visages en tête. On a pris en charge deux enfants, qui avaient une maladie neurologique non identifiée, avec une maman qui m’avait beaucoup touchée, qui arrivait de Géorgie, et qui m’a exprimée tout le chemin qu’elle avait parcouru pour venir jusqu’ici, et avec ce souci de soigner ses enfants. Elle attendait beaucoup de la naissance du deuxième pour venir l’aider, elle, dans son inquiétude de la prise en charge du premier. Et en fait, les deux enfants ont vraisemblablement la même maladie génétique, et elle a livré tout son désarroi. On a essayé de prendre en charge cette famille, en organisant des examens complémentaires, en instaurant une prise en charge. Et, en fait, ils ont dû déménager, changer de foyer, ils se sont retrouvés à 300km, et je me suis aperçue qu’ils se sont, comme ça, déplacés plusieurs fois, probablement au gré des changements de foyer, je ne sais pas ce qui s’est passé. Et du coup, ça, ça m’interpelle beaucoup sur ce suivi qu’on a du mal à faire, pour toutes ces populations qui bougent. Je pense à un petit garçon que j’avais vu la première fois avec sa maman et sa petite sœur, qui venaient du Nigeria. Tous les deux, ils étaient pleins de vie, mais vraiment pétillants ! C’était des vrais rayons de soleil dans le box de consultation ! Leur maman était enceinte, très jeune, ils vivaient à la rue. Et en fait, ce petit garçon était ictérique avec une hépatomégalie et une splénomégalie. J’ai fait une prise de sang et je l’ai revu le lendemain matin avec les résultats. On lui a découvert une drépanocytose, et en fait, la maman ne comprenait pas très bien. Elle disait qu’il y avait bien cette maladie dans sa famille, mais elle ne voulait pas que ce soit pour son fils. Alors, il y avait une histoire de déni, mais en même temps c’était difficile de lui demander de revenir tout le temps, je me disais « mais elle ne comprend pas tout, elle ne va pas revenir », en fait j’ai porté un jugement initial, et elle revenue, à chaque consultation, à chaque fois que je lui ai demandé de revenir aux urgences. Les populations qui sont dans la rue, on ne peut pas leur dire « rentrez chez vous et allez voir votre médecin traitant » alors il fallait qu’elle puisse revenir sur un lieu qu’elle connaissait, donc c’était pratique de lui dire de revenir aux urgences. Il était quand même bien altéré quelques jours après, alors je l’ai revu régulièrement à la PASS. La maman a accouché, et en fait, j’étais super touchée, parce qu’il est revenu me voir en me disant « Docteur M., tu es mon docteur » et en fait, je ne sais pas ce qu’il comprenait, parce qu’il avait 4 ans, mais j’ai trouvé vraiment très touchant qu’il revienne. Avec une maman qui ne semblait pas tout comprendre, on a découvert qu’elle était analphabète, et ce qu’on prenait au début pour un problème de compréhension volontaire, de déni, pouvait s’expliquer peut-être par d’autres choses, et en plus, à la rue, en plus enceinte..., en fait plein de critères pour dire que la prise en charge allait être compliquée, et elle est apparue très facile finalement, et tout s’est très bien organisé, et ça m’a montré que les choses pouvaient quand même être plus simples que ce qu’on imagine.
Quels sont les préjugés que vous pouviez avoir avant et que votre travail à la PASS a pu démentir ? Quelles sont les prises de conscience que vous avez pu avoir ?
Ça m’a permis d’ouvrir les yeux sur cette espèce de besoin vital qu’on a, quand on est parent, d’avoir envie du meilleur pour son enfant. En fait, ce n’est pas que vouloir l’inscrire dans la meilleure école, ou vouloir le meilleur équilibre pratique, en fait il y a une espèce de sursaut de vie, de vouloir ce qu’il y a de mieux, et ça commence aussi par le soin. Je pense à deux mamans d’un petit enfant autiste qui se démènent, elles ont une énergie incroyable, elles sont fascinantes de courage, ça c’est assez fou. Je pense qu’elles auraient tout le loisir de se plaindre, de dire qu’elles sont épuisées, qu’elles sont à bout, mais dans l’amour qu’elles ont pour leur enfant, elles sont capables de remuer vraiment ciel et terre pour aller chercher ce dont elles ont besoin pour leurs enfants, et ça, je trouve ça vraiment incroyable. Ce qui me fascine toujours, et à chaque fois je me fais la réflexion, mais c’est quand-même incroyable, je crois que c’est vraiment l’élan d’amour.
Les autres prises de conscience, je crois que c’est devant les mineurs non accompagnés que l’on voit, ces jeunes qui ont une capacité d’adaptation incroyable, et en même temps une immense fragilité. Devant leur « carcasse » (j’ai envie de dire « carcasse » tellement ils sont blindés – enfin, ils paraissent blindés-, et façonnés par le parcours qu’ils ont eu), j’ai l’impression que, rien que physiquement, on ne peut pas les bousculer. Et en fait, ils ont une énorme fragilité, une fragilité d’adolescent, d’enfant en phase d’être adolescent, de jeune adulte qui se cherche, et en même temps de jeune adulte qui a déjà subi tellement de violence, et puis parfois, des choses toutes simples, comme la perte d’un être cher dans leur pays. Je me souviens d’un jeune qui ne se remettait pas d’avoir perdu sa maman. Il avait quitté son pays, et la plus grande douleur c’était la perte de sa mère, bien au-delà de toutes les violences qu’il avait pu vivre notamment en Libye. Quand tu me demandais mes histoires les plus marquantes, j’ai le souvenir de deux mineurs non accompagnés, que j’ai suivi à la PASS. Ils venaient de Guinée, et tous les deux avaient une histoire à la fois émouvante, et en même temps très dure. Dans leur parcours, tous les deux avaient vu mourir un compagnon de route noyé, dans la traversée pour rejoindre l’Italie, et en fait, le fait qu’il puissent se livrer, je m’étais dit « si la consultation peut être le lieu où ils peuvent pleurer et se livrer, alors c’est que c’est bon, les choses sont dans les clous, même si c’est douloureux, même si je ne suis pas toujours en mesure d’accueillir tout ça, même si je sais pas forcément réagir, j’essaie de faire du mieux que je peux, mais en fait, c’est super, ils ont un lieu où ils peuvent s’exprimer et pleurer », et je pense que quand on a vécu des choses douloureuses, c’est la moindre des choses. Je pense qu’il y a un sursaut de vie, tout le temps, ils ont un élan de vie qui donne des leçons. Ce n’est peut-être pas facile à comprendre, à expliquer, mais c’est ça. Ils se mettent en mouvement parce qu’ils en ont envie, et c’est ça qui est très étonnant, et qui donne des leçons. Sur l’acceptation du temps présent et sur le fait qu’on ne peut pas se résigner à être dans la situation dans laquelle on est, et qu’on peut toujours chercher autre chose et se mettre en mouvement si la situation ne nous convient pas. Je me dis que c’est quand même la leçon que j’en tire, même si je me dis que cette consultation est quand même pleine de paradoxes, c’est quand même ça, au final, le mouvement.
Comment arrivez-vous à gérer toute cette souffrance qu’on vous exprime quotidiennement ?
L’échappatoire c’est l’espérance. La première chose que j’essaie d’avoir en tête, c’est la gratitude. C’est que moi, à ma place, je peux déjà exprimer un sentiment de gratitude de pouvoir accueillir ces gens-là, dans un lieu où on va être à leur écoute, et en même temps, où on va essayer de faire du mieux qu’on peut. Parce que c’est ce que je ressens avec les deux personnes avec lesquelles je travaille. Le but il est quand-même là, c’est l’objectif. Ce n’est pas évident, c’est même très difficile et perturbant parfois, et en même temps, je me dis que c’est une chance d’être confronté à la réalité de notre existence, que la vie peut être parfois très douloureuse, qu’il y a des gens qui vivent une grande violence, et qu’on est dans un état qui nous préserve, qui nous garantit certaines libertés, enfin la liberté, en théorie, et qu’on a la chance de pouvoir en jouir, mais qu’il existe des réalités douloureuses dans le monde. Une de mes motivations aussi de travailler à la PASS, c’était d’avoir un regard assez ouvert sur le monde tel qu’il est. Et en fait, quand je dis le monde, c’est qu’on se retrouve à discuter et à entendre des réalités géopolitiques que je n’ai pas tous les jours aux urgences, et c’est sûr que tous les jours ce serait lourd, mais je pense que cette attitude de gratitude et de reconnaitre qu’on a cette chance de pouvoir toucher du doigt, d’une certaine façon, la réalité de notre monde, c’est quand même extraordinaire ! Et après, j’ai l’espérance qu’il y a quelque chose de plus grand qui nous dépasse. Et même si ces personnes vivent des situations très douloureuses et de souffrance, et bien, je reste émerveillée de voir qu’il y a des associations qui les accompagnent en consultation, qui leur trouvent un toit, qui s’acharnent à essayer de trouver une solution. Je pense à une jeune fille qui a été recueillie par une association, qui a essayé de la mettre à l’abris, elle venait d’Angola, dans un réseau de prostitution, et en fait, toutes ces personnes ont essayé de faire du mieux qu’elles pouvaient pour la protéger ! Enfin voilà, je crois en cette solidarité humaine pour un plus grand bien. Mais je crois que notre seule espérance, c’est que la vie soit plus forte que toutes ces souffrances.
Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux étudiants en médecine ? Qu’est-ce que vous auriez aimé qu’on vous dise quand vous étiez étudiante en médecine ?
Ce que j’aurais aimé, c’est qu’on valorise nos études. Quand j’étais étudiante, j’entendais souvent mes amis qui faisaient d’autres études, notamment des études d’ingénieur, de commerce, après deux années de prépa, on les valorise, on les encense, on les met sur un piédestal. Je ne dis pas qu’il faut qu’on fasse ça avec nous, parce que je pense qu’il faut vraiment qu’on reste humble, c’est une qualité fondamentale chez le médecin s’il veut être capable d’accueillir la personne qu’il a en face de lui. Mais je pense que ce serait bien de valoriser un petit peu notre travail, rien que quand on est externe, et qu’on arrive avec notre enthousiasme pour aller rencontrer des gens. Je me souviens de ce chef qui m’avait dit « le plus dur c’est d’appuyer sur le bouton de la porte », on était en hématologie, en secteur protégé, avec des patients qui avaient des chimio, mais il m’avait dit « tu vas voir, le plus dur, c’est d’ouvrir la porte. Qu’est-ce que tu vas dire après ? », et en fait, on se retrouve face à des gens, à devoir accueillir tout ce qui souffre, on arrive nous avec notre propre bagage, notre enthousiasme de la médecine et là oufff il faut accueillir tout ça. Et bah, je pense que valoriser déjà ce qu’on a appris, notre connaissance, notre capacité à aller voir des gens... Enfin, moi je pense que j’aurais aimé qu’on valorise ce que je fais, enfin, c’est peut-être un besoin de reconnaissance, on a peut-être éternellement besoin de reconnaissance dans notre travail, mais je trouve quand même qu’en médecine, on ne nous dit pas souvent, bah que c’est vachement bien quoi ! Ce que j’aimerais aussi dire aux étudiants, c’est qu’il ne faut pas craindre de poser des questions aux gens qui ne concernent pas le motif d’admission, notamment le motif d’admission aux urgences ou le motif de consultation. C’est important de se renseigner sur l’origine des patients, leur demander quelle langue ils parlent, ne pas craindre des questions qui sortent un peu du cadre médical, juste pour se renseigner, savoir quelle est la personne qu’on a en face de soi. Ça parait complètement évident, et pourtant je fais le constat qu’on se limite aux symptômes. La médecine a un côté un peu déstabilisant, c’est qu’on voudrait connaître plein de choses sur toutes les maladies, être calé dans tous les domaines, savoir traiter de la meilleure manière qui soit, et en fait, je pense que les gens ont quand même besoin de trois choses : exprimer qu’ils sont fatigués, qu’ils ont besoin de parler, et qu’ils ont mal partout. Et ça, je crois que c’est trois motifs de consultation qui sont un peu déstabilisants, mais qui sont la réalité de l’humanité, et il faut quand-même être préparé à ça. Je pense qu’en médecine général, comme partout ailleurs, les gens ont besoin de parler, et de parler de ce qui les touche au fond d’eux, et ce n’est pas forcément les choses les plus simples à traiter.
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