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Témoignage de Dr. S, PASS Pédiatrique

Dernière mise à jour : 19 sept. 2021



Votre parcours ? Pourquoi avoir choisi de travailler à la PASS ?


J’ai une formation de pédiatre que j’ai faite à Lille. J’ai hésité entre plusieurs spécialités, dont chirurgie, tout simplement parce que mon souhait aurait été de faire un peu d’humanitaire. La chirurgie était très pratique parce qu’on pouvait agir, avoir une action efficace. Mais finalement j’étais pas du tout faite pour ça, la pédiatrie me correspondait mieux. C’est aussi une spécialité vraiment globale où toutes les facettes de la prise en charge du patient sont importantes. D’autant plus sur ce petit être en devenir où on voit l’environnement, le contexte familial, le contexte social, c’est tout aussi important que la prise en charge médicale en tant que telle. Le cheminement vers la PASS, c’est un peu un concours de circonstances fait de rencontres, et d’un constat notamment lors de mon travail aux urgences. J’étais praticienne avant aux urgences pédiatriques, et à plusieurs reprises on a été confronté à des orientations d’enfants pour des pansements par Médecins du Monde. C’était des enfants qui ne pouvaient pas faire de pansements ailleurs parce qu’ils n’avaient pas de couverture sociale. Donc ils étaient adressés aux urgences pour refaire un pansement de brûlure, une ablation de points, … des gestes finalement simples qui ne nécessitaient absolument pas une consultation aux urgences. Cela nécessitait juste une suite de soins des plus simples mais ils n’étaient pas dans la capacité de recevoir ce soin dans le droit commun. J’avais connaissance du fonctionnement et du dispositif hospitalier de la PASS adulte, et on a pu constater qu’y avait un manque concernant la prise en charge des enfants dans ce domaine et qu’il y avait quand même pas mal d’enfants qui pouvaient complètement échapper au système de soin. D’où l’intérêt de créer la PASS pédiatrique. Alors pourquoi la PASS ? Je pense que c’est un souhait de pratiquer une médecine proche de l’humain avant tout. Pour soigner les maux dans tous les sens du terme et de prendre en charge globalement la personne. Pour le motif de consultation, mais également dans sa globalité, de le faire avancer et de le rendre autonome dans sa prise en charge.



Est-ce que travailler au contact des personnes en situation de précarité a changé la manière dont vous voyez les choses ?


C’est sûr c’est que oui. Que ce soit au contact des patients précaires ou tout autre patient, je pense que toute interaction nous change quelque part. À partir du moment où il y a un échange, on donne et on reçoit beaucoup, quelle que soit la personne avec qui on échange. Pour ce qui est des patients en situation de précarité, déjà ça m’a ouvert beaucoup d’angles de vue. Pendant nos études quand on est médecin, on a très peu d’enseignement médico-social. C’est très scientifique et théorique, puis il y la pratique, mais la dimension sociale… On n’avait aucune formation là-dessus. Les couvertures sociales, les titres de séjour, il y a tout un domaine de droit à la santé et de santé publique pour lesquels on n’est pas du tout formé. Du coup ce n’est pas un domaine et un champ d’activité vers lequel on va spontanément en tant que médecin. Or quand on travaille dans la PASS on reprend conscience des soins primaires de la vie, qui ne sont pas forcément ceux qui nous intéressent nous en premier lieu. Quand on voit un patient à la PASS pour la première fois, on se rend compte que ses préoccupations sont de trouver un toit, un endroit où poser ses affaires et être en sécurité. C’est ça la priorité. La deuxième c’est de pouvoir assouvir sa faim et nourrir ses proches, pouvoir être reconnu à une identité, faire des papiers. Et la santé ne vient que très loin derrière. Plusieurs fois on a pu être confronté à une inadéquation entre ce que nous, soignants, on avait pu proposer, ou dire au patient, et les attentes que les patients en face de nous pouvaient avoir. En fait, il y avait vraiment une barrière entre nous. Et quand il n’y a pas de compréhension dans un sens ou un autre, l’échange ne se fait pas. On a beau dire au patient ce qu’il faut faire pour se soigner, si lui il ne sait pas où il va dormir ce soir, qu’il a froid toute la nuit et le ventre vide, jamais il ne va penser à aller chercher son médicament pour bien soigner son otite ou se traiter de la gale. Du coup, il faut commencer par reprendre les attentes du patient, pourquoi il vient réellement, quels sont ses besoins actuels. Ça nous permet de partir de là où en est le patient et d’avancer avec lui. La première consultation, on prend en charge la personne même si on ne résout pas tous les problèmes, ça se fait petit à petit. On se rend compte aussi que finalement on a beaucoup de droits en France et qu’on les oublie un peu. On oublie le cheminement et l’aboutissement de ces droits. C’est une évolution sociale, et tant mieux, mais on en oublie presque la responsabilité et la reconnaissance qu’on doit avoir vis-à-vis de ces droits. Travailler au contact des personnes qui sont en situation de précarité et qui sont confrontés au chaos de la vie, ça nous rappelle à chaque instant qu’on a des droits certes, mais qu’on a aussi des devoirs et qu’on doit avoir de la reconnaissance.

La 3ème chose : le courage. Je suis vraiment impressionnée à chaque fois par les parcours de vie des gens. Ils sont souvent dans la gratitude d’être accueilli tout simplement, et d’être reconnus en tant qu’êtres humains. Rien que ce matin, je ne sais pas combien de « merci » on a eu, pourtant on n’a pas fait grand-chose ! Il n’y avait personne en risque vital ni rien, mais les gens sont très reconnaissants à partir du moment où on prend le temps de les écouter. Ils ont souvent des parcours de vie très chaotiques et pourtant ils font preuve d’une force de vie qui nous sert d’exemple.



Est-ce qu’il y a des préjugés que vous pourriez avoir eu avant et qui auraient disparu au contact de ces personnes ? Des prises de conscience ?


Je pense qu’il y a 2 niveaux : niveau personnel ou en tant que professionnel de santé. En tant que professionnel de santé, dans le corps médical en tant que tel, il y a encore beaucoup de préjugés malheureusement. Il y a une vision du corps médical que les gens détenteurs de la CMU sont un peu laxistes du côté de leur démarche. Or, quand on est de l’autre côté de la barrière et qu’on est au cœur de la population avec ces difficultés, on se rend compte du cauchemar administratif. Même moi, épaulée par une super assistante sociale pour y arriver, on est parfois perdues, et ça n’avance pas. Je me rends compte qu’il faut comprendre pourquoi les gens en sont là avant tout. Comme dans tout groupe, il y a toujours des « brebis galeuses ». Des fois, avec des familles ça n’avance pas, on a beau leur donner toutes les ficelles, ils ne les tirent pas. Mais des gens qui ne tireront pas les ficelles que vous leur tendrez, il y en aura plein dans chaque groupe social.

On est dans une société consumériste, de réussite et d’avancée sociale, avec du coup l’idée que si on reste en bas de l’échelle c’est qu’on n’a pas fait les choses qu’on aurait dû faire. Il y a beaucoup de cette idée reçue là, sur le « laxisme » des gens précaires. Et c’est vrai que de travailler à la PASS on se rend compte que ce n’est pas le cas. Il y a des journalistes de pays en guerre qui viennent en tant de demandeurs d’asile, et ils doivent recommencer à zéro, ils ont tout perdu. Plus de carte d’identité, ils se retrouvent en foyer, au chômage, sans argent, sans rien, alors que ce sont des gens qui avaient une autre situation sociale dans leur pays. Si on s’arrête au premier abord esthétique, social, économique, on peut vite rentrer dans le préjugé. C’est vrai que les consultations PASS nous aide à rentrer dans l’humain et comprendre le parcours de vie, ce qui est important dans la prise en charge. Sur le plan personnel, ça relie un peu tout ça. Ça m’a ouvert les yeux sur le fait qu’en tant que membre d’une société, on pouvait faire véhiculer beaucoup de choses. Notamment vis-à-vis de la population romanichelle, le regard qu’on peut poser sur les enfants qui font la manche dans le métro. Est-ce qu’on tourne la tête et on les évite, ou est-ce qu’on leur dit tout simplement bonjour ? Il y a une manière d’accueillir l’autre et d’être acteur au sein de sa société. Une chose est sûre, c’est que lors d’une consultation PASS, il y a un échange suffisant pour qu’on voit la personne évoluer petit à petit. Aux premiers rendez-vous, les patients sont souvent très méfiants, parce qu’ils ont peut-être été victimes de préjugés avant, ou autre. Mais au fur et à mesure on voit qu’ils déposent de plus en plus de choses, qu’ils se sentent plus à l’aise, il y a vraiment un échange qui se fait. Et j’ai la conviction que l’accueil que l’on peut faire aux gens qui arrivent détermine leur bien-être, leur implantation dans un environnement. En leur disant que oui, ils ont leur place ici, ne pas les rejeter d’emblée.

Une autre chose, c’est de laisser les patients choisir aussi. Quand on est médecin on veut agir tout de suite, dire ce qu’il faut faire. Mais si le patient ne veut pas, on ne peut pas le faire à leur place. Il faut réussir à le persuader que c’est bon pour lui. C’est l’échange pour une meilleur prise en charge médicale.



Est-ce qu’il y a une histoire, une rencontre qui vous a particulièrement marquée ?


Il y a une petite fille de 8 ans, Promessa, que j’ai vu avec sa maman dans les suites d’une consultation aux urgences. C’est une histoire très compliquée, comme souvent ; une maman qui venait d’Angola, qui est passée par le Portugal, puis l’Espagne, avant de finalement arriver en France, dans un contexte de fuite d’un réseau de prostitution. Elle avait emmené une de ses filles parce qu’elle avait une tumeur au niveau du bras. Une maman meurtrie, très introvertie initialement, et une petite fille qui avait donc ce problème au niveau du bras. Heureusement c’était une tumeur osseuse bénigne, sans indication chirurgical. Elle avait eu plusieurs examens qui étaient très rassurants. On l’a suivi un certain temps parce qu’elle avait un ressenti de la douleur exacerbée. C’était une petite fille qu’on ne pouvait initialement pas du tout examiner : dès qu’on la touchait, elle pleurait. La 1ère fois que je l’ai vue, elle était tellement douloureuse et prostrée qu’on l’a faite hospitaliser pour évaluation, prise en charge de la douleur. C’était très dur pour elle et la maman à côté. Nous avons eu des avis très rassurants mais elle gardait cette douleur intense qui l’empêchait de dormir, avec des crises de pleurs régulières. Finalement, de consultation en consultation, on a essayé de la rassurer, de lui montrer qu’il ne fallait pas qu’elle s’inquiète de cette tumeur. On lui a montré qu’elle pouvait bouger son bras petit à petit sans ressentir de douleur, elle a été à l’école et s’est faite des copines, ce qui a été une autre ouverture. On a essayé de faire de l’hypno-analgésie : elle adorait les frites, et dès qu’elle avait mal, elle devait fermer les yeux et sentir l’odeur des frites. La dernière consultation, ça a été le coup de grâce, elle est arrivée sans sac à dos, sans attelle, un grand sourire aux lèvres, en disant qu’elle n’avait plus mal du tout. Elle allait à l’école et tout allait bien. À côté de ça il y a eu toute la prise en charge psychologique et accompagnement dans les démarches administratives, sociales, où la situation a pu s’éclaircir petit à petit.

C’est une prise en charge qui m’a marquée parce que, moi-même, au début, j’étais un peu perplexe vis-à-vis de cette douleur, mais quand on ne sait pas trop, on prescrit des médicaments, on essaye, et en fait, à la fin, elle n’avait plus besoin de rien. Elle avait juste besoin d’un endroit pour dormir avec une maman plus sereine, aller à l’école avec des copines, et manger des frites. C’était juste formidable de les voir avec ce grand sourire.



Qu’est-ce que vous trouvez le plus dur à propos de votre travail, et qu’est-ce qui est le plus beau ?


Le plus dur, c’est la frustration de ne pas pouvoir aller plus loin dans la prise en charge. Notamment vis-à-vis du logement. Quand vous avez une famille à la rue, avec des enfants emmitouflés et vous savez que vous allez les relâcher dehors après la consultation. Ce qu’ils veulent c’est juste un endroit où être au chaud. On n’a pas de ressources de ce type, et ça, c’est compliqué. On a un réseau, mais malgré tout, on arrive parfois devant un mur, et face à des situations d’urgences sociales, on n’a pas de solution à apporter.

À contrario, ce que je trouve magique c’est le travail en réseau. C’est toute la force de la PASS. Au début c’est très déroutant de travailler à la PASS quand on n’a aucun lien. Maintenant on connait les associations qui peuvent héberger, accompagner, donner des cours, de l’alimentation, etc. On tisse un réseau petit à petit, et d’une association à l’autre, il y a des jolies choses qui se créent, et ça redonne de l’espoir. Ça permet aussi à chacun de ne pas s’essouffler, parce que on ne peut pas tout encaisser seul, c’est impossible. On a besoin des autres.



Comment vous gérez pour encaisser toutes ces histoires au quotidien ?


On échange beaucoup entre nous. On a eu plusieurs fois la nécessité de marquer les choses, des situations préoccupantes via l’aide sociale à l’enfant, voire des signalements avec placement des enfants, des choses pas drôles. Mais c’est toujours en équipe, on y travaille et on en discute en équipe, c’est la priorité. Pour échanger, avancer.



Est-ce qu’il y a quelque chose que vous aimeriez dire aux étudiants en médecine ?


Le but des médecins, c’est de ne plus voir son patient. On est dans une démarche de soin dans la T2A où on doit noter ce qu’on fait, le nombre d’actes, … Ici c’est des consultations longues. On est contents après de les voir partir, ne plus les voir. Le but c’est d’autonomiser le patient, il faut que le soignant soit en alliance avec le patient. Et ne jamais oublier l’humain, l’être dans sa globalité. Prendre le temps dans un premier temps de bien décrypter les choses, se poser et faire en sorte après que les gens soient clairvoyants vis-à-vis de leur santé aussi. Il faut éduquer le patient aussi pour qu’il soit acteur de sa santé, le but est qu’il y ait un échange et qu’on ne soit pas « le grand docteur en haut » et le petit patient en bas qui doit écouter. Donc qu’il puisse revenir nous voir à bon escient, mais pas en dépendance.


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