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  • Photo du rédacteurLéa C

Témoignage de Houda Merimi, médecin de l'association Médecins du Monde

Dernière mise à jour : 30 déc. 2023


Est-ce que tu pourrais te présenter de la manière dont tu le souhaites ?

 

On se présente toujours par rapport à son vis-à-vis, donc par rapport à toi, ce qu’on a en commun c’est la profession, donc j’ai envie d’abord de me présenter d’un point de vue professionnel. Je m’appelle Houda et je suis médecin. J’ai été médecin généraliste plus de dix ans, au Maroc, parce que je suis marocaine. C’est là-bas que j’ai fait mes études de médecine. J’ai pratiqué la médecine générale dans un cabinet de groupe au départ, et puis ensuite dans une maison médicale, donc avec une équipe un petit peu plus grande. Les études de médecine au Maroc elles sont sensiblement similaires à celles en France, à savoir qu’il y a un énorme parcours hospitalier et très très peu de parcours dans les dispositifs de soins primaires. Sur les 10 ans d’études de médecine je pense que j’ai dû faire deux mois en centre de santé ! Pour former des médecins généralistes je trouve que c’est moyen d’être limité à ça. Donc j’ai ouvert ce cabinet avec une collègue, très très vite j’ai été « gavée » - c’est pas le bon mot mais ça ressemble presque à ça - par le soin, c’est-à-dire que le soin - ce qu’on appelle « soin » à l’hôpital - ça règle pas les problèmes des gens. J’ai commencé par soigner sur ce qu’on m’avait appris avec ma formation hospitalière, et les cancers de la tête du pancréas et les maladies rares ce n’est pas ce qu’on voit tous les jours, on voit « bonjour je perds mes cheveux, j’ai des angines, … » des choses du commun quoi ! On voit des maladies itératives, les gamins qui reviennent deux fois par mois pour les crises d’asthme, les hypertensions qu’on n’arrive pas à réguler, et on se dit « ouais mais ça c’est pas un problème de soin », le soin en fait c’est très limitant. Et on se dit que le gamin qui vient deux fois par mois pour une crise d’asthme c’est que son logement n’est pas adapté parce qu’il est dans un environnement humide, et ça sert à rien que je le traite tous les mois, il faudrait qu’il puisse changer de logement. Donc très très vite dans ma pratique au Maroc, les déterminants sociaux de la santé m’ont sauté aux yeux. Donc le soin je me suis très vite dit ce n’est pas suffisant, je vois que ça ne résout pas le problème des gens. D’où cette pratique qui est passée au format de maison médicale avec d’autres acteur.ices et pas seulement des professionnel.les de santé. Et notamment une assistante sociale pour essayer de comprendre quels sont les enjeux sociaux des personnes. J’ai commencé à découvrir la santé communautaire, et je me dis c’est pas mal quand-même que ce soient les gens qui parlent de leur santé, et qui partagent ce qu’il y a de mieux pour elleux. Donc j’ai travaillé dans une maison médicale avec un conseil d’administration qui était fait des gens du quartier, qui décidaient un peu de ce qu’on allait aborder comme thématique de santé sur nos séances de promotion de la santé. Ça a été une jolie expérience, en me rendant vite compte qu’on ne fait rien sans transformer les politiques publiques, de la nécessité de parler aux acteur.ices des territoires, aux autres professionnel.les de santé sur le territoire, d’intégrer les pharmacien.nes dans la reflexion, l’assurance maladie… parce que c’est un tout en fait, la santé c’est un tout. Donc moi j’ai découvert ça au Maroc, j’étais dedans pendant plus de dix ans, jusqu’au moment où j’ai commencé à voir les limites de ce que j’étais en capacité de faire. Donc je me suis dit, j’ai besoin d’une autre discipline pour m’éclairer, et c’est une discipline dont j’ai cruellement manqué pendant mon parcours médical, c’est les sciences humaines. Donc je suis arrivée en France en 2015 pour faire un master de santé publique, dans un parcours sciences sociales, et ça ça a été vraiment majeur pour moi, parce que j’ai découvert toustes les auteur.ices, et je crois que c’est criminel de ne pas les enseigner en première année de médecine, tu vois de ne pas parler de Michel Foucault en première année de médecine je trouve qu’on rate vraiment un truc ! Donc j’ai découvert tout ça, j’ai découvert l’aspect pluridisciplinaire et la santé publique, subitement ça a produit du sens pour moi et ça nommait des choses que je faisais sans le savoir, des choses que je faisais avec mes collègues au Maroc.

J’ai immigré à 40 ans, donc j’avais déjà fini mes études, j’avais déjà une partie de ma carrière, mais du coup j’étais aussi en situation de migrante, migrante dans de bonnes conditions quoi, je n’ai pas traversé la méditerranée à la nage, mais quand même en condition de migrante. Du coup, sur le stage de la première année de master je me suis dit qu’il faudrait que j’aille voir du côté d’une association qui accompagne la santé des migrant.es. Donc mon stage de M1 ça a été le réseau Louis Guilloux à Rennes, pour commencer à comprendre les enjeux liés à la santé des migrant.es. Ensuite j’ai fait mon M2 sur Paris et je me suis dit je continue toujours sur l’accès à la santé des migrant.es, donc j’ai fait mon stage au COMEDE qui est aussi un centre de santé pour accueillir les demandeur.euses d’asile et leurs demandes de santé. Et subitement, j’avais les deux choses qui coïncidaient, ce que je découvrais sur la santé publique me donnait beaucoup de billes pour m’expliquer les choses que je n’arrivais pas à comprendre au Maroc, et en même temps j’étais en train de vivre cette vie d’étrangère (parce que la France pour moi c’était l’étranger) et de comprendre les enjeux d’accueil et de non accueil des étranger.es quand iels sont en situation de précarité, en situation irrégulière ; et donc ça m’a amenée très naturellement à Médecins du Monde, voilà. De manière assez inattendue mais très cohérente.

 

C’est comme si tout s’était mis sur le chemin…

 

Oui, comme beaucoup de choses dans la vie mais qu’on comprend après coup, on ne comprend pas au moment où ça arrive, c’est après coup qu’on donne un sens.

 

Est-ce que tu pourrais m’expliquer un peu en quoi consiste ton poste ?

 

Alors du coup Médecins du Monde c’est une association qui s’est créée fin des années 70 début des années 80, à un moment où il y a eu cette vague de « french doctors » qui décidaient d’aller au bout du monde pour secourir des populations qui étaient en difficulté. Donc il y a eu Médecins sans frontières, quelques années après il y a eu du bizbiz à l’intérieur de Médecins sans frontières donc il y a eu un schisme et il y a eu la création de Médecins du Monde, et donc c’était ces organisations humanitaires qui allaient un petit peu partout dans le monde essentiellement dans les pays du sud, pour assurer des services de santé dans des pays où ça n’allait pas, parce que c’était la guerre, parce que c’était la famine, etc. Et puis, milieu-fin des années 80, à Médecins du Monde, les personnes et notamment les médecins se rendent compte aussi qu’en France ça ne va pas si bien que ça, qu’il y a beaucoup de personnes à la rue, qu’il y a du chômage, de la précarité, qu’il y a des gens qui n’arrivent pas à accéder à la santé, et donc Médecins du Monde commence à ouvrir des projets sur le territoire français. Donc Médecins du Monde s’est construit comme ça depuis les années 80 avec ces deux volets : des interventions à l’international - et donc des interventions qui se font soit vraiment en contexte d’urgence ou de crise, soit dans des pays où ça s’apaise, donc qui sortent de l’urgence ou de la crise, mais où il y a des systèmes de santé qui restent faibles et qu’il faut soutenir, sur le plan pharmaceutique, sur le plan formation, ou en mettant directement en place des activités (parce qu’on n’arrive pas à construire des centres de santé ou des hôpitaux au fin fond de certains pays parce qu’il n’y a pas de route, parce que c’est inaccessible, et donc ce sont des populations qui sont délaissées) – et des opérations en France, parce qu’il y a de plus en plus de précarité, et la précarité elle change de visage, au départ, c’est par exemple des personnes qui sont usagères de drogues, au départ ce sont des personnes qui sont sans domicile fixe mais qui sont de nationalité française, et puis de plus en plus ce sont des étranger.es, quand iels arrivent iels ne sont pas accueilli.es, iels sont laissé.es à la rue, et donc il y a ces deux opérations-là qui se développent en France et à l’international. Et donc, les activités que met en place Médecins du Monde, elles se développent, elles s’affinent. Par exemple, pour une consultation médicale, on se demande quel type de consultation médicale ? Une consultation d’urgence, non, une consultation de médecine générale ? oui, mais on a aussi besoin de soins infirmiers, on a aussi besoin de faire de la promotion de la santé, oui mais en fait il y a un problème d’ouverture des droits donc il faut des assistant.es sociaux.ales., oui mais il y a des communautés qui sont éloignées donc il y a besoin d’interprètes pour pouvoir comprendre et qu’elles puissent exprimer leurs besoins en santé; oui mais en fait le système de santé français il est tellement illisible, même pour les autochtones, quand t’es étranger.e comment t’arrives à voguer dans le système ? Tu ne sais pas s’il faut aller taper à la porte d’un hôpital ou d’un médecin libéral, on te demande 25 euros, on te demande la carte vitale, donc il faut aussi des médiateur.ices en santé. Et en fait, tous ces éléments-là, cumulés sur l’apprentissage de Médecins du Monde, c’est ce que nous avons considéré être « mettre en place des pratiques de santé « de qualité » », de qualité c’est-à-dire afin qu’elles puissent répondre aux besoins de santé des personnes. Et donc quand une personne arrive, elle a beau avoir mal à la jambe, d’accord elle a mal à la jambe, mais on va aussi chercher des problèmes de santé mentale, d’inconfort, on va lui demander si elle vit à la rue ou si elle est logée, on va lui demander si elle a un réseau de personnes, ou si elle se sent complètement isolée. On va peut-être commencer à parler prévention, voir s’il y a de la contraception, s’il faut dépister un cancer du col, une hépatite C, etc. ; et donc tous ces éléments c’est ce que nous appelons des pratiques de santé de qualité. Et donc moi aujourd’hui à Médecins du Monde je suis responsable de ce département qui s’occupe de la qualité des pratiques en santé, à savoir de pouvoir engranger tout l’apprentissage qu’il y a au niveau des différents terrains de Médecins du Monde, en France et à l’international, pour s’assurer que tout cet apprentissage puisse voguer d’un projet à l’autre.

 

Donc concrètement, je travaille dans une unité, dans un département, avec des référents, donc avec des personnes qui vont appuyer les projets de Médecins du Monde, de manière à s’assurer que dès qu’il y a un projet qui souffre, qu’il puisse tout de suite mettre en place la qualité des services de santé. Par exemple de se dire si on ouvre un projet quel que soit l’endroit, quel que soit le pays, pour la pratique médicale par exemple, qu’il y ait des protocoles de santé qui soient validés, qui suivent les standards OMS ou de la HAS ; sur l’approvisionnement en médicaments on va s’assurer qu’il respecte tous les standards d’approvisionnement (chaîne du froid, etc.) qu’il soient stockés et distribués dans de bonnes conditions ; on va s’assurer que lorsqu’une personne se présente dans n’importe quel projet de Médecins du Monde, son âge sera pris en compte : la manière dont on parle à un.e jeune mineur.e n’est pas la même que lorsque l’on parle à une personne âgée ; un.e jeune mineur.e qui est isolé.e, iel a des circonstances particulières de vie, et il faudra faire attention à celles-ci ; il y a beaucoup de mineurs non accompagnés en France. Aujourd’hui, les personnes âgées qui sont isolées en Ukraine - parce que les hommes sont à la guerre, les femmes et les enfants se sont réfugiées en Europe - il y a des considérations particulières, généralement ces personnes âgées se sentent seules, isolées, et sont porteuses de maladies chroniques et ont arrêté leur traitement ou alors il n’est plus disponible. Donc on voit les spécificités d’âge, de genre, on sait que quand il s’agit de femmes, d’enfants ou de personnes lgbtqia+ elles sont plus souvent victimes de violences liées au genre ; on va aller chercher ces violences et voir comment on peut aider pour soigner, pour prévenir, pour orienter. On va faire attention à leur situation de handicap, sachant qu’il y a différentes situations de handicap, et en fait tous ces process ils doivent se mettre en place au fur et à mesure que le projet se construit ; et donc les référent.es qui travaillent dans cette unité, iels vont accompagner la mise en place de ces standards de qualité de la prestation de santé.

 

Ça a l’air d’être un travail de fou mais ça a l’air d’être incroyable !

 

Bah on apprend beaucoup de choses et on est épaté par ce que font les terrains, ce qu’iels découvrent et comment iels innovent ! Par exemple, en France, moi quand je vais voir mon médecin généraliste, si j’arrive à avoir une consultation de 15-20 minutes je suis contente ; sur les opérations Médecins du Monde en France on sait qu’il n’y a pas de consultation médicale de moins de 40 minutes, c’est de la folie de faire ça en moins de 40 minutes ; on sait qu’il y a des besoins, qu’on a besoin d’un.e interprète, qu’il faut parler de santé mentale, et ça c’est la qualité de la consultation médicale. Effectivement c’est passionnant et ça donne même des leçons en dehors des publics qui sont en situation de vulnérabilité ; ça interroge beaucoup sur tout le reste qui est disponible.

 

C’est quoi le plus dur dans ton travail ?

 

Je ne sais pas s’il y a des choses dures dans mon travail, moi j’adore mon travail, je trouve qu’il donne du sens à ma vie, je trouve qu’à cette période de ma vie il venait à point nommé. Ça fait sept ans que je suis en France et ça fait cinq ans que je bosse pour Médecins du monde, à priori si j’y suis encore c’est qu’il y a d’abord beaucoup d’avantages à faire ce travail, et notamment par rapport à moi et à mes valeurs, et probablement pour beaucoup de monde à Médecins du Monde, c’est parce qu’il donne du sens. Alors, maintenant ce qui peut être dur c’est que c’est effectivement une grosse charge de travail, il y a beaucoup de choses à faire. Mais, en fait tu sais, pour les bonnes choses, le revers de la médaille c’est toujours une bonne chose ! Donc il y a une grosse charge de travail mais le revers c’est que c’est passionnant, c’est que ça aborde absolument tout ! Il y a beaucoup d’indignation, de voir que des personnes vivent des situations pareilles, mais à côté, juste en face, il y a : ne pas se résigner et il y a des choses qu’on peut faire. Il y a le métier, tout ce qui est technique, les protocoles, l’appui, les activités, et en face il y a aussi des politiques plus globales, un engagement de la société et des citoyen.nes. Donc en fait, quand tu me demandes ce qu’il y a de dur, j’ai envie de te dire tout et rien, parce que ce qu’il y a de dur c’est aussi des choses qui donnent du sens à une vie. Je trouve que c’est formidable de vivre une vie en sachant qu’on a sa place dans le grand puzzle de l’Humanité, de dire super je suis un bout de puzzle et j’ai trouvé ma place, je trouve que ça rend les choses moins dures.

 

Est-ce que tu aurais un conseil à donner pour faire face quand on est confronté.e à une situation d’injustice, ou qui nous impacte sur le plan émotionnel ?  Comment on fait pour garder l’espoir, pour ne pas se sentir submergé ?

 

Je n’ai pas de conseil à donner en fait, parce que tu sais, les êtres humains on est tellement différents et on réagit tellement différemment aux circonstances, il faudrait que chacun fasse avec son caractère. Moi je suis une passionnée d’Histoire, et ce qu’elle nous enseigne l’Histoire de l’Humanité, c’est qu’on a toustes commencé dans une grotte à avoir peur de la lumière, et un jour on est sorti, et aujourd’hui regarde où on en est ! Donc moi tout ce que je vois dans le sens de l’Histoire c’est qu’on progresse, c’est qu’on avance, et donc même quand ça va mal je me dis que je m’inscris dans un mouvement où toute l’Humanité continue à avancer, même aux moments où elle déconne grave, on continue à avancer. Ensuite, je trouve que c’est bien d’être en colère quand on est face à l’injustice. Tu me demandais comment on fait face, je trouve que c’est assez commun encore de dire dans le milieu médical qu’il faut s’endurcir, moi je pense qu’il ne faut absolument pas s’endurcir. Ressentir de la compassion face aux personnes tristes je trouve que ça nous rend humain.es, et on aura nous-mêmes à faire face à nos propres souffrances, à nos propres douleurs, à nos propres maladies, on n’est pas épargné.es non plus. Quand il y a de l’injustice c’est bon de s’indigner et d’être en colère, donc je pense que ces émotions il faut les vivre, de manière assez saine, mais il faut les vivre parce que c’est ce qui fait de nous des êtres humains. Ensuite, ces émotions une fois-là, il faut se demander comment on transforme ça en action, et dans l’action, mon périmètre à moi est peut-être tout petit mais en fait il y a un grand puzzle de l’Humanité avec beaucoup d’initiatives. Donc moi je fais ça, je vais le faire bien, je ne suis pas tenue au résultat mais à l’effort, et je vais faire tout l’effort que je peux mettre en œuvre pour arriver à être parfaite dans mon domaine à moi. Il faudrait que tout soit cohérent entre vie professionnelle, vie personnelle et bénévolat, que tout ait le même sens, et je pense que cet équilibre-là est celui qui permet de tenir le moment où on est face à la violence. Et aussi tout n’est jamais tout noir ou tout blanc, c’est toujours les deux faces d’une même médaille. Le moment où on a l’impression que tout va bien, je pense qu’il faut être vigilant, être content que tout aille bien et se dire aussi que ça peut aller mal et donc que je me renforce, car je sais que les choses peuvent aller mal, elles vont mal parfois pour les autres. Et le moment où tout va mal, me rappeler que j’ai des ressources, que les gens ont des ressources, qu’il y a moyen de faire, je pense qu’il faut toujours rester équilibré, et c’est ça qui donne de la force.

 

Cet équilibre comment tu l’as construit ?

 

Honnêtement pas dans le milieu médical. Je pense qu’il y a un trait de caractère résolument optimiste à la base, parfois trop optimiste et qu’il faut aussi que j’équilibre. Mais je pense que c’est vraiment les rencontres. Moi je dois beaucoup de choses à beaucoup de gens qui m’ont justement appris cet équilibre-là, où le moment où tout va bien me disent qu’iels sont très content.es que tout aille bien mais qu’il faut garder la mesure des choses, parce que les choses peuvent changer ; et le moment où tout allait mal qui étaient là pour m’accompagner mais pour me montrer aussi tout ce qui allait bien. Donc j’ai eu beaucoup de chance dans mes rencontres, de gens qui m’ont justement donné ce sens de la mesure. C’est pour ça que je dis qu’il faut équilibrer tous ses domaines de vie, parce que les gens qui donnent de bons conseils on peut en rencontrer dans son milieu professionnel, mais aussi dans son milieu familial, amical, au hasard des rencontres, de voyages, les patient.es ! Les patient.es m’ont appris tellement de choses ! Le moment où dans le soin ça me gavait, j’avais tellement de personnes qui m’apprenaient à faire des choses et se mettre en position d’apprentissage tout le temps, c’est ça aussi qui donne du sens. T’as déjà été malade ? Quand t’es malade et que tu vas consulter, t’as pas toujours l’impression que celle.celui qui est en face de toi comprend ta douleur, qu’il comprend ta rage dentaire, ou tes dysménorrhées, ou que t’as 3 ou 4 choses en même temps et que ça te gonfle ? Donc en fait la personne qui expérimente la maladie, son expérience c’est du savoir. Et le.la professionnel.le de santé en face, sa formation et sa technicité c’est du savoir. Il faut que ce soit un partenariat parce que ce sont deux savoirs différents qu’il faut mettre en commun pour essayer de résoudre un problème de santé ou de garder la santé. Et c’est important de se remettre tout de suite dans une relation partenariale et d’acter, de légitimer le savoir de la personne en face. 

 

Est-ce que tu avais des préjugés avant de faire ce travail que tu as pu déconstruire au cours de ton parcours ?


Je pense que nous avons toustes nos stéréotypes. Donc moi j’ai eu les stéréotypes les plus communs et qui viennent de mon pays d’origine aussi. L’activité de déconstruction des préjugés c’est quelque chose que j’ai débuté très tôt dans ma vie. La maladie c’est quelque chose d’assez commun dans ma famille, j’ai grandi avec des personnes malades toute ma vie, j’ai toujours été entourée par la différence, donc je pense que ça aide vraiment à prendre conscience des préjugés qu’on a et à les déconstruire. Je pense que j’en ai déconstruit pas mal mais je pense que j’en ai encore et qu’il faudrait que je travaille sans arrêt à les déconstruire. Et on les déconstruit grâce aux personnes elles-mêmes, dès qu’on est face à quelqu’un qui commence à parler de lui ou d’elle, tout de suite le préjugé explose parce qu’on est face à un.e être humain, à sa vie, à sa souffrance individuelle. Donc oui, j’en avais qui étaient très variés, j’en avais aussi parce que je viens de l’autre côté de la méditerranée donc j’avais beaucoup de préjugés sur les occidentaux. Une fois qu’on arrive, qu’on est sur place, on se dit « Oui mais c’est des êtres humains aussi, iels sont dans leur individualité » donc on évite d’essentialiser. Donc oui, j’en ai eu, oui j’en ai probablement encore, dès que je suis face à la nouveauté je construis des stéréotypes, mais je me suis habituée à prendre conscience que ce sont des stéréotypes, et à tâcher de les déconstruire. Je pense qu’il y a des fois où je rate des choses, tu vois j’essaie beaucoup de faire attention à mon langage, à ce que je dis, mais c’est quand je vois la tête de la personne en face que je me dis oulah ce que je dis et qui signifie rien pour moi signifie peut-être quelque chose pour la personne en face, faudrait que je pose la question pour savoir si ça la blesse. Donc je pense que c’est une activité en continu, c’est un truc qui ne s’arrête pas quoi !

 

Est-ce que ton travail a eu un impact sur ta vision des choses et sur ta manière d’être au quotidien ?

 

Une chose que j’ai apprise c’est les « mots valises ». Par exemple « précarité » aujourd’hui ça veut rien dire, la précarité c’est les étudiant.es depuis le Covid qui ont du mal à joindre les deux bouts pour manger correctement, c’est l’exilé.e qui débarque à Briançon qui traverse le Mont Genèvre où iel est en train de se cailler les miches parce qu’il fait extrêmement froid et qui n’est pas accueilli.e une fois qu’iel arrive ; c’est des personnes qui ont peut-être un revenu correct mais qui vivent au fin fond d’une zone rurale où il n’y a peut-être pas de routes, pas de médecins, pas de services publics parce que c’est dématérialisé ; des personnes qui sont seules, soit parce qu’elles ne parlent pas la langue ou qu’elles n’ont pas de réseau ; donc la précarité ça couvre des réalités qui sont tellement diverses, ça fait partie des choses que j’ai apprises.

Ce que j’ai trouvé de particulier dans le militantisme à la Française, c’est qu’iels lâchent pas ici ! Vous êtes impressionnant.es en fait ! Et je pense qu’on vous le dit pas assez souvent. Depuis que je suis arrivée ici je suis entourée de gens qui disent « bah en fait on lâche pas », « on se met ensemble et on va trouver une solution », même au moment où t’as l’impression qu’il n’y a plus rien à faire ! Et je trouve ça impressionnant ! Ça va au-delà de l’espoir, on y tient ! Et ça m’a changée d’être entourée de gens qui lâchent pas, qui lâchent pas pour eux, qui lâchent pas pour les autres, et tu vois, même moi qui suit d’un caractère optimiste, ça ça va au-delà de l’optimisme ! C’est « on peut agir, on peut faire des choses » ! Toutes ces personnes qui m’entourent, elles m’ont aussi appris que même faire des choses toutes petites ça peut faire une différence. Et ça il faut que je vous le dise, vous les français.es, vous lâchez pas et il faut cultiver ça, parce que c’est important ! C’est une très belle qualité de ne pas se résigner.

 

La résilience c’est aussi quelque chose que tu as dû voir chez les patient.es ?

 

Oui, de manière très pragmatique, ce ne sont pas les personnes qui ont des problèmes de santé qui migrent, ce sont les personnes les plus fortes de leur communauté qui migrent parce qu’elles savent ce qui les attend dans le parcours migratoire. Donc les personnes qui traversent, qui passent 2 à 3 ans dans un parcours d’exil, généralement elles sont d’abord en bonne santé, et elles partent parce qu’elles se disent, « je vais pouvoir vivre libre » s’il s’agit de problèmes de manque de liberté là où elles sont, « je vais pouvoir travailler » si c’est des problèmes économiques, quelles que soient les motivations. Quand elles arrivent elles ont cette volonté et elles sont fracassées au fur et à mesure du parcours, parce qu’il y a du non accueil, parce qu’il y a du racisme, de la discrimination, ou du non accès aux besoins fondamentaux, mais ce qui les a motivés pour partir ça fait beaucoup de résilience. Dès qu’on ouvre une porte où il y a de l’accueil, où il y a « bah oui vous avez le pouvoir d’agir, vous êtes légitimes dans ce que vous demandez et dans ce que vous êtes » ça change les choses. On voit la forte résilience des personnes, et ce sont elles qui ont le pouvoir de générer cette force en elles ! Mais il faut le voir, si on ne le voit pas c’est cuit ! L’espoir amène l’espoir.

 

Qu’est-ce que tu aurais aimé qu’on te dise quand tu étais étudiante en santé ?

 

J’aurais aimé qu’on me dise plein plein de choses ! J’aurais aimé qu’on me dise que l’expérience de la maladie ce n’est pas l’expérience du médecin, mais celle de la personne malade. C’est elle qu’il faut écouter, parce que c’est elle qui a l’expérience de la maladie. Ça j’aurais aimé qu’on me le dise avant que je le vive avec mon père.

Je lisais un article intitulé « la définition de la médecine générale » et il y avait cette dame interviewée qui disait « vous savez moi mes articulations ne fonctionnent pas très très bien, donc j’ai un médecin qui s’en occupe ; et puis vous savez je commence à vieillir donc mon cœur commence à fatiguer du coup j’ai un cardiologue qui s’occupe de mon cœur, et puis j’ai fait quelques excès donc j’ai un peu de diabète et j’ai aussi un médecin qui s’occupe de mon diabète ; mais avec toustes ces médecins je me demande comment je pourrais avoir un.e médecin qui s’occupe un peu de moi » et je trouvais que c’était une chouette définition de la médecine générale, sans utiliser les termes techniques de dimension bio-psycho-sociale, mais je trouve que c’est ça un.e médecin généraliste, c’est celui.celle qui s’occupe de toute la personne. Ça je l’avais découvert par hasard dans un article et chaque fois j’ai eu envie de le dire à tous.tes les étudiant.es en médecine générale ! Il faut qu’on soit des médecins qui s’occupent des gens, et pas uniquement des maladies, et l’expérience de la maladie ce n’est pas une expérience médicale, c’est l’expérience de la personne malade.

J’avais une amie qui était aussi une patiente et à qui j’ai dépisté un diabète, et donc j’ai commencé à lui faire le cours sur le diabète, ce qu’elle devait faire, pas faire, ce qu’elle devait manger, pas manger, et elle m’a m’arrêté et elle m’a engueulé tout de suite, elle m’a dit « je t’arrête parce que je ne suis pas une diabétique, je suis ton amie, celle que tu connais, et j’ai un diabète. Je suis toujours moi, et à côté tu pourras me parler de mon diabète. » Ça aussi c’était une leçon.

 

 

En bonus : Les recommandations de lectures/podcasts de Houda :

  • Les romans de Martin Winckler : L’école des soignantes ; Le cœur des femmes

  • Le podcast La Série Documentaire (LSD) (France culture) et notamment les épisodes sur la santé communautaire et la démocratie en santé (en 4 parties)

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